
La voie de la sérénité : Aux origines de l’encens japonais

Depuis des siècles, les délicates volutes d'encens japonais embaument l’air, apaisant les esprits et élevant les âmes. Mais cette pratique parfumée va bien au-delà de l’arôme : c’est un voyage aux origines mêmes de la culture japonaise.
L’histoire de l’encens japonais est intimement liée à celle du pays. Comme nous l’avons présenté dans cet article, l’encens a toujours eu un rôle central dans les cérémonies spirituelles, les pratiques artistiques et le quotidien, des temples anciens aux résidences nobles. Les arômes apaisants étaient censés purifier l’air, inspirer la méditation et accentuer l’appréciation artistique durant les cérémonies traditionnelles du kodo. Nous vous parlerons bientôt du Kodo !
La première trace de l’usage de l’encens au Japon apparaît dans les chroniques anciennes Nihonshoki (Chroniques du Japon). En l’an 595, durant la période Asuka, on y lit :
« Du bois d’aloès échoué sur l’île d’Awaji fut découvert. Il mesurait six pieds de circonférence. Les habitants, ne connaissant pas cette essence, l’utilisèrent avec du bois de chauffage pour cuisiner. Une vapeur parfumée s’en dégagea et se répandit au loin. Émerveillés, ils le présentèrent à l’Impératrice. »
C’est ainsi que l’encens fut présenté pour la première fois au Japon à l’Impératrice Suiko et au Prince Shotoku. Ce dernier connaissait déjà la combustion de l’encens, introduite au Japon vers 538 apr. J.-C. dans le cadre des rituels bouddhistes, et le reconnut comme du « jin ». Le terme jin est souvent traduit par bois d’aloès ou bois d’agar. Découvrir le bois d’agar

Ce bois aromatique, appelé jinkoh en japonais, ou jin, signifie « bois qui coule dans l’eau ». Le mot vient d’un terme sanskrit signifiant « lourd ». Tous les bois d’encens appelés jinkoh ne coulent pas dans l’eau, mais le bois qui coule indique une teneur élevée en résine, ce qui le rend plus parfumé et précieux.
Plus un bois est résineux, plus il est sombre, lourd et aromatique. Ce type de bois est extrêmement rare et ne peut être reconnu que par des personnes très expérimentées. Il se trouve parfois enfoui sous terre ou dans des arbres vivants au cœur de la jungle.
Mais quand l'encens est-il devenu courant au Japon ?
L’encens commence à prendre une place importante durant la période Nara (710–794 apr. J.-C.), lorsque le pouvoir politique est entre les mains de leaders bouddhistes. Les rituels bouddhistes sont alors intégrés aux cérémonies officielles et à la cour impériale. L’usage de l’encens se répand comme offrande au Bouddha ou pour purifier les lieux sacrés.
L’encens utilisé dans les anciens rituels bouddhistes japonais était un mélange de cinq à sept matières aromatiques broyées, comme le jinkoh (vous vous souvenez ? le bois d’aloès !), le bois de santal, les clous de girofle, la cannelle et le camphre. Les proportions et combinaisons variaient selon les sectes bouddhistes. Cet encens était alors saupoudré sur des cendres chaudes contenant du charbon. La technique des bâtons d’encens (joss sticks) fut introduite plus tard, au XVIe siècle, par les Coréens ou les Chinois.

Aujourd’hui, deux grandes pièces de jinkoh sont conservées dans un entrepôt impérial du VIIIe siècle au temple Todaiji de Nara. La plus grande fut offerte au temple en 756 apr. J.-C. par l’impératrice Komyo. Brûler un morceau de ce bois aujourd’hui révélerait un parfum intact, exquis, tel qu’il était senti par les shoguns il y a des siècles.
Des temples à la noblesse : l'encens et les élites
C’est durant la période Heian (environ XIe siècle), connue pour son raffinement et sa culture artistique, que l’usage de l’encens prend une nouvelle dimension. Il dépasse alors les cadres religieux pour devenir un phénomène culturel. On retrouve l’encens dans les robes parfumées, les éventails, et même dans les poèmes louant une fragrance particulière. Il est même mentionné dans le roman épique « Le Dit du Genji », un pilier littéraire de l’époque.

Scène du Dit du Genji avec un jeu autour de l’encens.
Même les samouraïs n’échappaient pas au pouvoir de l’encens. Avant les batailles, ils brûlaient du koboku pour purifier leur esprit et leur corps. Peut-être dans l’espoir de gagner en concentration et en courage…
Cette fascination culmine au XVIe siècle, durant la période Muromachi, avec le développement du kodo, l’art d’apprécier les fragrances subtiles des bois parfumés koboku – des essences précieuses soigneusement sélectionnées.
Fait intéressant, les principes fondamentaux du kodo pratiqués aujourd’hui sont presque inchangés depuis la période Muromachi. C’est également à cette époque que naissent la cérémonie du thé et l’ikebana (art floral), illustrant une profonde quête d’esthétique.
L’univers de l’encens japonais est vaste, et nous serions ravis de vous en partager davantage sur son histoire !
N’hésitez pas à nous faire part de vos impressions dans les commentaires !
L’équipe Asayu Japan
Nos articles précédents :
Encens de bois de santal et culture japonaise : un guide d’introduction
Découvrir le bois d’agar : guide d’introduction